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C’est pendant la Première Guerre mondiale que s’impose, en Europe, le principe de l’inhumation individuelle des soldats tués au combat, alors que celle-ci était jusqu’alors réservée aux seuls chefs. Après-guerre vient le temps des cimetières de masse, sous-produits de la révolution industrielle. Des programmes architecturaux de grande ampleur sont lancés. On trouve, sur le sol français, 2.330 cimetières de la Première Guerre mondiale.
La loi française du 29 décembre 1915 a donné le droit à une sépulture perpétuelle sur le sol national aux soldats français et alliés décédés ; la règle a été étendue aux « ex-ennemis » (sic), le 28 juin 1922. Un accord signé le 26 novembre 1918 cède gratuitement aux Britanniques, et sans limitation de durée, les terrains des cimetières militaires, mais le sol demeure propriété de l’Etat français. Le Traité de Versailles, signé en juin 1919, comportait un article spécifique, le 225, consacré à l’entretien mutuel des tombes, le seul de l’ensemble du document où les vainqueurs faisaient un geste de réconciliation envers l’ennemi, ou plus exactement vis-à-vis de ses morts. Les cimetières militaires étaient désormais des symboles de paix à valeur internationale.
Dès la fin du conflit, vainqueurs et vaincus ont entrepris de créer des cimetières d’un genre nouveau pour enterrer les morts avec le respect qui leur était dû. Il en est résulté des programmes globaux et des éléments constitutifs communs pour toutes les grandes nations :
- une échelle exceptionnelle, considérable, des cimetières, celle d’une guerre industrielle.
- des espaces composés de formes simples, pures, répétitives, afin d’éviter d’établir une différence entre les victimes.
- l’utilisation de moyens modernes de réalisation, de type industriel.
- une planification d’ensemble.
- un regroupement national, même si, dans de nombreux cimetières, on trouve des tombes de soldats alliés ou ennemis, isolées ou en petits groupes.
- les croix et les stèles ont fait l’objet d’une standardisation ; une recherche a été effectuée au cours du temps pour disposer de matériaux pérennes : stèles de pierre calcaire dans les cimetières britanniques suivant la tradition de l’Eglise réformée, croix de béton armé dans les nécropoles françaises puis croix de ciment composite, croix de pierre ou d’aluminium dans les cimetières allemands.
Le sens est bien de donner à ces sépultures un caractère perpétuel. Cependant, deux tendances contradictoires sont apparues quant à l’organisation globale de la géographie des nécropoles :
- la rationalisation à outrance, par le regroupement dans de vastes cimetières régionaux, destinés à marquer les esprits. Cette solution a été retenue par les Etats-Unis et également par l’Etat français. Sous l’influence notamment du Maréchal Pétain, de grandes nécropoles symboliques ont été créées, comme à Douaumont ou à Notre-Dame-de-Lorette, pour des raisons à la fois matérielles et psychologiques. Ce choix s’est imposé aux Allemands, à qui les surfaces concédées par la France étaient limitées.
- la multiplication des lieux d’inhumation au plus près des zones de combat, afin de respecter un contact avec le champ de bataille, choix des pays du Commonwealth.
Créés par les armées belligérantes pendant le conflit pour trouver les terrains propices aux inhumations, identifier et enterrer les corps, les services d’inhumation ont constitué la base des équipes chargées, après-guerre, d’aménager les nécropoles définitives Un grand nombre de cimetières temporaires ont été conservés ; d’autres ont été supprimés et les tombes qu’ils contenaient regroupées dans de nouvelles nécropoles.
Cependant, au-delà de l’unité des principes communs, chacune des grandes nations engagées dans le conflit a créé une architecture particulière pour ses cimetières militaires, exprimant ses caractères propres, ses traditions, le rôle de la religion dans la société, la volonté politique de ses gouvernements. Les nécropoles militaires sont donc le fruit de la réflexions de divers spécialistes (architectes, sculpteurs, paysagistes, ingénieurs), sous le contrôle de l’Etat (ainsi en Allemagne, où il accompagne le travail associatif) où sous sa responsabilité entière (ainsi en France, où il est maître d’ouvrage). C’est en Grande-Bretagne que la réflexion a été la plus poussée.
Yves LE MANER,
Directeur de La Coupole,
Centre d'Histoire et de Mémoire du Nord–Pas-de-Calais